Ahold Delhaize recentre sa stratégie IA sur quelques processus clés. Que peut en apprendre le retail belge pour passer de POC dispersés à un commerce vraiment intelligent ?

L’IA entre enfin dans le dur chez Ahold Delhaize
Dans la grande distribution, l’heure n’est plus aux POC dispersés ni aux gadgets. Avec sa nouvelle stratégie, Ahold Delhaize – maison mère d’Albert Heijn, Delhaize, bol, etc. – annonce vouloir devenir un « smart follower » de l’IA, en se concentrant sur quelques processus clés à fort impact.
Ce virage est emblématique de ce qui se joue aujourd’hui dans le retail belge : après des années d’expérimentations locales (réduction du gaspillage, caisses automatiques plus intelligentes, recommandations produits…), la question est désormais : comment industrialiser l’IA là où elle crée vraiment de la valeur ?
Dans cet article de la série « L’IA dans le Retail Belge : Commerce Intelligent », nous décryptons la démarche d’Ahold Delhaize et ce qu’elle signifie, très concrètement, pour les enseignes belges :
- où l’IA génère le plus d’impact aujourd’hui,
- comment passer de tests isolés à une stratégie structurée,
- quelles priorités se fixer en 2026 si vous dirigez ou transformez un réseau retail en Belgique.
D’Ahold Delhaize à l’ensemble du marché : la fin des POC dispersés
Moins de dispersion, plus de processus cibles
Ces dernières années, Ahold Delhaize a multiplié les projets IA :
- algorithmes anti-gaspillage alimentaire pour mieux prévoir les ventes et ajuster les commandes,
- optimisation logistique chez bol, réduisant de 6 % le nombre de kilomètres parcourus pour la livraison,
- initiatives data dans les prix, la promo, la fidélité…
Comme beaucoup de groupes, le retailer a rapidement accumulé des cas d’usage, souvent développés par des équipes différentes, sur des technologies parfois non alignées. Résultat :
- difficulté à mesurer le ROI global,
- complexité à maintenir et faire évoluer les modèles,
- fatigue des équipes métier, qui voient passer des pilotes sans toujours percevoir la valeur.
En décidant de se recentrer sur quelques grands processus métier (supply chain, pricing, expérience client, opérations en magasin…), Ahold Delhaize illustre le mouvement de fond :
L’IA quitte le laboratoire d’innovation pour devenir un levier industriel des performances retail.
Le modèle « smart follower » : un choix stratégique lucide
Frans Muller, CEO d’Ahold Delhaize, parle de stratégie de « smart follower ». L’idée :
- ne pas être le tout premier à lancer chaque technologie d’IA,
- observer les meilleures pratiques du marché,
- investir massivement uniquement là où l’impact est prouvé,
- déployer vite, à grande échelle, avec une forte discipline opérationnelle.
Pour de nombreuses enseignes belges, c’est un modèle particulièrement pertinent :
- budgets plus limités que ceux des géants US ou chinois,
- forte pression sur les marges,
- contexte social sensible (notamment en alimentaire).
ĂŠtre un suiveur intelligent ne signifie pas ĂŞtre en retard ; cela signifie :
- se concentrer sur la création de valeur mesurable (marge, chiffre d’affaires, trésorerie),
- limiter les risques technologiques,
- embarquer plus facilement les équipes internes.
Les 4 domaines où l’IA crée déjà un impact massif en grande distribution
1. Supply chain et logistique : l’IA au service du kilomètre en moins
L’exemple de bol (6 % de kilomètres en moins) n’est qu’un début. Dans un pays dense comme la Belgique, le moindre kilomètre économisé compte pour :
- le coût logistique,
- l’empreinte carbone,
- la promesse de livraison (J+1, créneaux, etc.).
Les cas d’usage concrets :
- Prévision de la demande par magasin, canal, jour et créneau horaire.
- Optimisation des tournées des camions, courses e-commerce et drives.
- Gestion dynamique des capacités d’entrepôt (main d’œuvre, créneaux de réception, stockage).
Pour un réseau belge, quelques gains typiques observables avec une IA bien déployée :
- 2 à 5 points de réduction du taux de rupture,
- 5 à 10 % d’optimisation des stocks moyens,
- 3 à 8 % d’économie sur les coûts de transport de dernier kilomètre.
2. Pricing et promotions : vers un pilotage en temps réel
Avec la guerre des promos en Belgique, le pricing dynamique et l’optimisation des promotions deviennent stratégiques.
Les algorithmes permettent par exemple de :
- ajuster les prix en fonction de la concurrence, des stocks, de la saisonnalité,
- simuler l’impact d’une offre « 2+1 » ou « 2+5 » sur la marge et les volumes,
- identifier les promos qui attirent réellement du trafic versus celles qui érodent la marge sans valeur.
En pratique, un modèle IA bien configuré peut :
- réduire de 10 à 20 % le budget promo gaspillé,
- améliorer de 1 à 2 points la marge brute sur une catégorie clé,
- soutenir une stratégie EDLP (prix bas tous les jours) tout en gardant quelques « coups d’éclat » maîtrisés.
3. Expérience client et personnalisation : de la carte de fidélité à l’IA conversationnelle
Les retailers belges disposent d’un actif majeur : des millions de tickets et données de fidélité. L’IA permet de passer :
- d’une segmentation générique (famille, jeune, senior),
- Ă une personnalisation fine des offres, recommandations et parcours.
Cas d’usage à fort impact :
- Coupons personnalisés en fonction du panier et de la sensibilité prix.
- Recommandations produits (compléments, substitutions plus saines, alternatives MDD).
- Assistants conversationnels pour aider à trouver un produit, une recette, ou gérer une réclamation.
Résultats typiques :
- hausse de 5 à 15 % du taux d’utilisation des coupons,
- augmentation du panier moyen (produits complémentaires),
- meilleure satisfaction client grâce à des parcours plus fluides.
4. Opérations magasin : vers le « magasin augmenté »
Au-delà des entrepôts et du e-commerce, l’IA s’invite dans le magasin physique :
- prévision de fréquentation par heure pour ajuster les plannings d’équipe,
- vision par ordinateur pour superviser les ruptures en rayon,
- robotique intelligente pour les inventaires ou la préparation de repas (robot-cuisine, stands chauds automatisés).
Pour des chaînes comme Delhaize ou Albert Heijn en Belgique, cela signifie :
- moins de ruptures visibles en rayon,
- moins de temps passé par le personnel sur des tâches peu créatrices de valeur (inventaire manuel, listings papier),
- plus de temps disponible pour le service client et le conseil.
Comment passer, en Belgique, d’expérimentations IA à une stratégie d’impact
S’inspirer d’Ahold Delhaize ne veut pas dire copier leur feuille de route. Mais leur virage vers la focalisation donne un canevas que tout retailer belge peut adapter.
Étape 1 – Clarifier les processus prioritaires
Plutôt que de lancer « encore un POC IA », commencez par lister vos grands processus métier :
- prévisions et réassort,
- pricing et promo,
- expérience client et fidélité,
- opérations magasin,
- finance et contrĂ´le de gestion.
Pour chacun, posez trois questions simples :
- Où perde-t-on le plus d’argent aujourd’hui ?
- Où les données sont-elles déjà assez bonnes pour entraîner des modèles ?
- Où les équipes métier sont-elles prêtes à tester des approches nouvelles ?
Les 2 ou 3 processus qui cochent le plus de cases deviennent vos chantiers IA prioritaires 2026.
Étape 2 – Structurer les données et l’architecture
Sans base solide, l’IA reste un feu de paille. Il est crucial de :
- consolider les données de ventes, stocks, promos, trafic dans un environnement unifié,
- définir des standards de qualité de données (fraîcheur, complétude, cohérence),
- choisir un socle technologique qui évite la multiplication de petits outils isolés.
Cette phase est moins visible, mais c’est elle qui permet de passer, comme Ahold Delhaize, de cas d’usage ponctuels à une plateforme d’IA réutilisable à l’échelle du groupe.
Étape 3 – Co-construire avec les métiers, pas contre eux
Les meilleurs modèles ne servent à rien si les équipes magasin, supply ou marketing n’y croient pas. Les facteurs de succès observés dans les projets IA retail en Belgique :
- impliquer des responsables magasin, category managers, logisticiens dès la conception,
- expliquer les modèles de façon simple (quels inputs, quelles limites, quel rôle humain),
- commencer par des pilotes cadrés sur quelques catégories ou magasins,
- prévoir des boucles de feedback régulières pour ajuster.
Objectif : faire de l’IA un assistant décisionnel et non un « oracle opaque » perçu comme imposé par l’IT ou le siège.
Étape 4 – Mesurer l’impact et industrialiser
Dans la logique « smart follower », on n’industrialise que ce qui prouve sa valeur. Cela suppose :
- des KPI clairs par cas d’usage (taux de rupture, kilomètres, marge, NPS…),
- un suivi avant/pendant/après pilote,
- des décisions d’industrialisation ou d’arrêt assumées.
Une fois l’impact démontré :
- standardiser les modèles,
- outiller le déploiement (formation, guides, intégration SI),
- prévoir une gouvernance IA pour piloter les évolutions (nouvelles données, réglementations, éthique, RGPD).
Quelles priorités IA pour un retailer belge en 2026 ?
S’inspirant de la trajectoire d’Ahold Delhaize, voici une feuille de route pragmatique pour le marché belge.
1. Faire de la prévision de la demande un socle commun
Qu’il s’agisse d’alimentaire, de droguerie ou de non-food, la bonne prévision est le nerf de la guerre : elle conditionne stocks, prix, promos et logistique. Priorisez :
- un modèle de prévision robuste par magasin x produit x jour,
- l’intégration des promos, événements locaux, météo,
- un cockpit simple pour que les équipes puissent ajuster les prévisions manuellement si nécessaire.
2. Lancer un programme structuré de pricing et promo IA
Au lieu de multiplier les opérations coups de poing, mettez en place :
- un moteur IA de simulation de promotions (impact volume/marge),
- un outil de surveillance continue des prix concurrents,
- une gouvernance claire : qui décide, avec quels garde-fous (image-prix, contraintes légales, limites de variation) ?
3. Construire un socle de personnalisation client
Avec les cartes de fidélité belges, les applications mobiles et les données e-commerce, le potentiel est énorme. Les étapes :
- unifier les données client (offline et online),
- commencer par quelques segments comportementaux IA (chasseurs de promos, bio, familles, etc.),
- tester des campagnes personnalisées simples (offres ciblées sur 2–3 catégories clés),
- mesurer l’incrément de CA et de marge par rapport à des campagnes de masse.
4. Expérimenter un « magasin augmenté » pilote
Sélectionnez un ou deux magasins pilotes pour tester :
- la prévision de trafic et l’optimisation des plannings,
- la détection automatique des ruptures sur quelques rayons sensibles (frais, boissons, hygiène),
- un tableau de bord opérationnel partagé, mis à jour en quasi temps réel.
Le but n’est pas le gadget high-tech, mais de démontrer que l’IA peut :
- simplifier le quotidien des équipes,
- améliorer la disponibilité produit,
- enrichir l’expérience des clients en magasin.
Vers un commerce vraiment intelligent : et maintenant ?
Le repositionnement d’Ahold Delhaize sur des projets IA à impact confirme une tendance lourde : le temps des POC vitrines est passé. Dans le retail belge, la bataille concurrentielle se jouera de plus en plus sur la capacité à :
- exploiter la donnée de manière disciplinée,
- choisir quelques cas d’usage prioritaires plutôt que 50 expérimentations,
- industrialiser rapidement ce qui fonctionne.
Dans la série « L’IA dans le Retail Belge : Commerce Intelligent », cette étape marque un tournant : nous ne parlons plus simplement d’innovations technologiques, mais de transformation profonde des modèles opérationnels.
La question n’est donc plus : « Faut-il investir dans l’IA ? » mais plutôt :
- « Sur quels processus l’IA aura-t-elle le plus d’impact dans mon enseigne ? »
- « Comment devenir, moi aussi, un smart follower efficace, plutôt qu’un suiveur passif ? »
La prochaine étape vous appartient : choisir vos priorités 2026, aligner vos équipes et faire de l’IA non pas un buzzword, mais un véritable avantage concurrentiel durable.